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Marie-sur-l'île
5 juin 2021

Once upon a time in Caledonia

Me revoilà après plus d'un mois de silence. Je ne pensais pas que j'aurais eu autant de mal à me poser pour mettre mon expérience en mots. Il y a tellement de choses à dire et d'angles différents à adopter! Et la découverte d'un nouveau pays vous accapare l'esprit, le corps, l'emploi du temps, vous submerge d'images, de rencontres, d'idées, si bien que la vie passe très vite tout en étant remplie d'un million de choses à raconter. 

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Je vais commencer par ce qui m'a le plus interpellée, ou en tous cas la première réflexion que je me suis faite en arrivant : "On dirait les Etats-Unis!" Je parle
ici principalement de Nouméa, de loin la plus grande ville de l'île, donc sujette à une urbanisation bien plus dense que le reste. D'abord, il y a énormément de pick-up, ces énormes voitures avec un coffre ouvert à l'arrière. Il n'est pas rare de voir une voiture d'un mètre plus haut que la mienne -petit tacot local-, arborant une énorme enseigne FORD sur l'arrière, les jantes dépassant des pneus, "pot d'échappement" slash cheminée recourbée à l'avant du véhicule comme une locomotive; bref, des vrais Monster Truck. A l'instant, j'entends à l'extérieur de chez moi un péquenaud en train de faire vrombir son moteur tuné, un classique. Cette culture de la voiture est visible aussi dans la qualité et l'omniprésence des réseaux routiers, qui relient les périphéries au centre de manière directe - la quatre voie arrive directement de l'extérieur à l'hypercentre, sans transition. De chez moi, il est très difficile d'aller en centre-ville sans voiture - 50 minutes de bus, 1 heure de vélo ou 12 minutes de voiture... Côté restaurants, il n'est pas rare de voir un "Texas Grill" ou autre style à l'américaine. Les portions servies sont gargantuesques... c'est le règne du doggy bag. Et ce n'est pas fini...

Lors d'un road trip dans le nord de l'île, on a traversé ce qu'on appelle la "brousse"; cette zone dans l'intérieur des terres au nord-ouest de Nouméa. Vallonnée et très sèche, c'est là que beaucoup de propriétaires terriens de descendance européenne (couramment surnommés les "caldoches") se sont installés et ont développé l'élevage de bétail dans des ranchs. Ce sont d'authentiques cow-boys, chapeau sur la tête, jean et chemise à carreaux, postés sur leur monture au soleil couchant. Je vous jure! Il y a même la "foire de Bourail" organisée tous les 15 août, où des concours de rodéo sont organisés depuis les années 60 ! (apparemment le rodéo a été importé d'Australie) Pendant ce road trip à travers la brousse, on a écouté la radio locale, et j'ai halluciné en entendant de la musique country, mais aussi des grands classiques américains, et l'animateur radio qui vantait les grands espaces calédoniens, la "côte Ouest" calédonienne, et j'en passe... Tout l'imaginaire des grands espaces et de la liberté quasiment inventé par les colons aux Etats-Unis a été transposé sur cette île à des dizaines de milliers de kilomètres.

 google image : i-m-a-poor-lonesome-cowboy

Historiquement, il y a une raison à tout ça : les Américains ont débarqué par dizaine de milliers entre 1942 et 1946, pendant la guerre du Pacifique. La France leur a prêté le territoire néo-calédonien pour établir des bases de retrait lors des conflits avec le Japon notamment. Du coup, les Etats-Unis ont investi énormément d'argent dans la construction d'infrastructures comme les routes, les aéroports, les hôpitaux, les bases militaires... Et corollairement à tout ça, beaucoup se sont installés à long terme et ont fondé des familles, ils se sont intégrés dans la société calédonienne. J'ai lu dans mes recherches sur internet que cette arrivée n'avait pas forcément été mal vécue car les Américains ont permis aux gens d'ici de connaître l'abondance en temps de guerre, et ils ont également apporté beaucoup de nouveautés notamment alimentaires : chewing-gum, crème glacée, whisky, bière, mais également les cigarettes blondes. Ils ont aussi apporté leur culture de la fête à l'occidentale avec les dancings, les boîtes, les cinémas (le cinéma a une place important ici; plusieurs festivals de cinéma sont organisés chaque année sur l'île).

Alors bien entendu, avec le recul, ce n'est pas une histoire toute rose... il s'agit d'une forme de colonisation culturelle en plus d'être territoriale. Et les français ont imprimé leur marque sur la société d'une toute autre manière qu'il serait intéressant d'analyser. Rien n'est jamais tout noir ou tout blanc et j'ai souvent pesé mes mots à l'évocation des différents types de colonisation. Cet imaginaire américain est bien ancré, et c'est très rigolo pour moi de voir ça, mais j'ai un sentiment d'ambivalence quand je pense au fait que tout ceci n'est pas la culture Kanak, la culture traditionnelle telle qu'elle existait avant l'appropriation française, et telle qu'elle existe encore dans beaucoup d'endroits. Je ressens le même paradoxe que pour le territoire Américain: le mythe des grands espaces, la société du divertissement sont autant de paillettes dans les yeux qui empêchent parfois de se rappeler l'injustice des évènements passés. Et le fait que cette culture est venue ensevelir la précédente.

La bière des américains est aujourd'hui calédonienne (la Number One, la Manta, autant de bières équivalentes en goût et au prix à la Budweiser américaine). Elle est largement consommée par les calédoniens qui n'ont pas le terrain génétique propice à supporter l'alcool et qui en subissent les effets et l'addiction. Hier, la radio a annoncé l'interdiction de vente d'alcool sur tout le territoire à partir de vendredi soir, liée aux risques d'alcoolémie à l'occasion du premier week-end de vacances scolaires. 

Ce parallèle entre les deux cultures me laisse avec un goût amer; j'en reviens toujours à ce sentiment étrange de décalage, à la choquante soudaineté de tous ces changements, aux vices de société venus de l'Occident. Mais deux choses me font relativiser. D'abord, je me rend bien compte qu'il n'est pas nécéssaire de diaboliser l'Occident car cela pourrait revenir à idéaliser la culture colonisée et la perte irrévocable d'un bijou précieux... je ne sais pas grand chose, mais il me semble que tout n'est pas rose non plus dans le système social Kanak (selon mes standards). Ensuite, il y a tellement de choses magnifiques, sublimes, de richesses et de préciosité sur ce territoire qu'il serait dommage de s'arrêter à cela.

J'ai maintenant hâte de vous retrouver pour vous parler de plein d'autres belles choses et de ce que je vis, notamment l'expérience magnifique de la plongée sous-marine. Enormes bisous à vous. 

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Commentaires
M
Merci Marie pour cette minute culturelle, et cet article si bien détaillé qu'on a l'impression d'y être :) Notre vieux continent est aussi le fruit de mélanges...<br /> <br /> J'ai hâte de lire la suite des aventures ! Enooormes bisous
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